Martial Solal: les débuts

Une promenade au fil de quelques 33 Tours




Martial Solal - North Sea Jazz Festival, le 09 juillet 2004



Citizen Jazz a décidé, il y a quelques semaines, de consacrer un Dossier spécial à Martial Solal, avec témoignages de pianistes comme F. Raulin, et un article de C. Loxhay consacré aux débuts du célèbre pianiste-compositeur.

Pas question ici de proposer une biographie, même succincte du génial pianiste, mais se contenter d'évoquer ses débuts au travers d'une série de 33 Tours de l'époque.

Né en 1927 à Alger, Martial Solal devient musicien professionnel dès 1945: il joue à Radio Alger puis à Radio Rabat. Il arrive en France en 1950. Après un passage au sein de différents grands orchestres comme celui d'Aimé Barelli, il entame une carrière autonome en 1953. Il se produit au Club Saint-Germain et au Blue Note. Il accompagne nombre de musiciens américains de passage mais forme aussi son propre trio avec le batteur Jean-Louis Viale et, à la contrebasse, soit Jean-Marie Ingrand, soit le Belge Benoît Quersin, qu'il a croisé au sein du Lucky Thompson All Stars. En 1956, il enregistre le 33 Tours Martial Solal - Sadi Quartette pour le label Vogue





Martial Solal - Sadi Quartette

Vogue, Swing LDM 30 046, 1956


C'est à Paris que Martial Solal rencontre le vibraphoniste belge Fats Sadi (de son vrai nom Sadi Lallemand). Né comme Solal en 1927, Sadi s'est d'abord fait connaître en Belgique au sein des Bob Shots avec les saxophonistes Bobby Jaspar et Jacques Pelzer ainsi que le guitariste René Thomas. De 1950 à 61, Sadi réside à Paris et croise Lucky Thompson comme Solal. Par la suite, il rejoindra le Kenny Clarke - Francy Boland Big Band.

Les douze titres du quartette ont été enregistrés en trois séances, avec des rythmiques différentes: à la contrebasse, soit Jean-Marie Ingrand, soit Benoît Quersin et, à la batterie, soit Jean-Louis Viale, soit Christian Garros.

Au répertoire, des classiques comme Love walked in de Gershwin ou Tenderly, un étonnant Paris je t'aime mais aussi des compositions originales: Sadi's sad et Yoga de Sadi, Tout bleu et Ridikiool de Solal.

Héritage sans doute des 78 Tours, les thèmes sont courts mais permettent déjà de pleinement découvrir la vélocité de jeu du pianiste, sa grande technique, son sens du rythme et du dialogue avec le vibraphone.






Sidney Bechet - Martial Solal

Swing 20e anniversaire, LDM 30 065, 1957


C'est à Paris aussi que Martial Solal rencontre Sidney Bechet. Né à La Nouvelle Orléans en 1897, Bechet a croisé les grands noms du jazz américain, Louis Armstrong, Kid Ory, Duke Ellington ou Count Basie. Après son succès au Festival de Jazz de Paris en 1949, il décide de s'installer en France où il devient une vedette très populaire, avec des succès comme Petite Fleur, Les Oignons ou Dans les rues d'Antibes qu'il joue avec les orchestres de Claude Luter ou André Réwéliotty dans le plus pur style "new orleans".

Un projet du label Vogue est révélateur de l'enthousiasme du public à l'égard du saxophoniste soprano. En octobre 1955, pour fêter le 1.000.000 disque vendu par l'Américain, Vogue organise un concert gratuit exceptionnel à l'Olympia. Les 2800 places du célèbre Music Hall seront bien insuffisantes pour accueillir les 5000 fans qui se pressent aux alentours: "Emeute à l'Olympia", titre l'Aurore, "Deux millions de dégâts" annonce Paris Presse. Un coffret de deux disques dédicacés (Vogue LDM 30 014 et 30 015) reprend les grands classiques, dont Les Oignons et Dans les rues d'Antibes, joués par Bechet avec les orchestres de Claude Luter et André Réwéliotty.

En 1957, la rencontre entre le saxophoniste et Martial Solal donne une toute autre image de l'Américain qui propose ici un profil beaucoup plus moderne. Le quartette enregistre d'abord huit thèmes en deux heures: pas de répétition, un choix du répertoire vite décidé  à deux, juste un petit passage par la cabine pour juger de la prise de son. La séance a débuté par une version très enlevée de These Foolish things, suivront d'autres titres très swing, comme Exactly like you, Jeepers Creepers ou Pennies from Heaven qui alternent avec des ballades telles The Man I love ou Once in a while, des plages qui démontrent la parfaite entente entre ces musiciens de générations différentes mais qui se comprennent mutuellement.

Ces huit titres sont gravés en compagnie d'une rythmique américaine constituée de Lloyd Thompson à la contrebasse et Al Levitt à la batterie. L'album sera complété par une deuxième séance de 7 titres, des classiques comme It don't mean a thing, All the things you are ou All of me qui permettent à Solal, sous l'impulsion d'une rythmique constituée de Kenny Clarke et Pierre Michelot, de faire preuve de toute sa technique, de son sens du rythme et de sa vélocité de jeu (beau solo sur Rose Room). En dialogue constant avec Solal, Bechet casse cette image d'apôtre du revival.






Martial Solal

Columbia FPX 191, mai-juillet 1960


Après avoir écrit la Suite n° 1 en ré bémol pour quartette de jazz et nombre de musiques de films (A bout de souffle, L'affaire d'une nuit), Martial Solal veut s'imposer comme soliste à part entière.

Un album en deux parties: une face de 5 titres originaux enregistrée en trio avec Guy Pedersen (cb) et Daniel Humair (dm), l'autre, en piano solo, dédiée à des classiques complètement revisités, de Round Midnight à The Squirrel de Tadd Dameron.

A l'écoute de thèmes comme Ouin Ouin ou Very fatigué, on sent que Solal joue "du trio": l'osmose entre piano et rythmique est totale, jusque dans ces syncopes qui hachent régulièrement l'exposé de Thème à Tics,. L'écriture est parfaitement originale: "Aucun des originaux n'est bâti sur la structure classique AABA de 32 mesures" (Philippe Adler). Les ruptures de rythmes sont constantes et ouvrent sur de beaux passages d'improvisation et de solos (beau solo de Pedersen sur Bonsoir).

L'autre face est donc réservées à un répertoire qui va de Cole Porter à Monk, mais avec l'empreinte très personnelle de Solal. Avec cet album, Solal s'impose sur un plan international, ce qui va se concrétiser avec son voyage aux Etats-Unis.






Martial Solal Trio:
en direct du Blue Note

Columbia, CTX 40 323, mai 1966


Même s'il est postérieur, cet enregistrement réalisé dans un des principaux clubs parisiens à avoir accueilli Martial Solal, ce "direct du Blue Note"  répond comme en miroir au trio avec Guy Pedersen et Daniel Humair. La rythmique est ici constituée de Gilbert Rovère et de Charles Bellonzi, fidèles du Blue Note.

Ici aussi, une face consacrée à des compositions originales en guise de clin d'oeil humoristique (Thé pour trois, T.N.T. et  Blues masochiste), des thèmes à l'énergie débordante et aux subtiles variations  rythmiques.

L'autre face est consacrée à des "reprises" de grands classiques: Lady Bird, Lover Man, Somebody loves me de Gershwin et Caravan d'Ellington, avec cette particularité, c'est que Solal peut improviser dès l'intro ou terminer par une coda inattendue.






Martial Solal à Newport

Columbia, FPX 263, juillet 1963


Le voyage aux Etats-Unis correspond à une forme de consécration internationale. Bill Evans vient de quitter le Hickory House Club: Martial Solal y est programmé pour 6 puis 10 semaines, avec la rythmique laissée libre par Bill Evans: Teddy Kotick à la contrebasse et Paul Motian à la batterie.

Le 7 juillet, Solal est invité par George Wein au plus prestigieux festival des Etats-Unis: Newport par où sont passés Duke Ellington, J.J. Johnson et tant d'autres. En témoigne l'album Columbia qui propose le programme du festival et quelques autres thèmes. Un clin d'oeil à Bill Evans avec Boplicity, des classiques comme Round Midnight, Stella by Starlight ou What is this thing called love mais aussi Nuages de Django Reinhardt: des plages de 3 à 4 minutes 49 mais aussi une composition personnelle de 12 minutes: Suite pour une frise, un titre inspiré par l'architecture d'un immeuble moderne de Bruxelles: une composition, elle-même, à l'architecture savante, avec de nombreuses variations de rythmes et d'une originalité foncière.

Les critiques ne s'y trompent pas. Georges Avakian parle d'un "virtuose étonnamment expert", de "combats harmoniques sans convention" et vante "la richesse éclatante de son  imagination". La pochette comprend aussi des commentaires élogieux de Duke Ellington et Dizzy Gillespie. Même lorsqu'il reprend des classiques, Solal invente : il conserve des éléments de la mélodie originale mais il brode des variations tout autour. Solal est reconnu de manière internationale.






Zoller - Koller - Solal:  Zo - Ko- So

Saba, Jazz in stereo, janvier 1965


Martial Solal a aussi une énorme reconnaissance en Europe. En témoigne cet album gravé avec le guitariste hongrois Attila Zoller et le saxophoniste ténor autrichien Hans Koller, deux musiciens qui ont gagné l'Allemagne et ont croisé le tromboniste Albert Mangelsdorff (ainsi l'album Zo-Ko-Ma, réunissant le guitariste, Lee Konitz et Albert Mangelsdorff). Deux musiciens "modernistes", à la croisée entre jazz contemporain et free. Zoller et Koller se connaissent de longue date et le saxophoniste a croisé Solal au sein des European All Stars à Berlin.

Cinq plages pour cet album à géométrie variable: My old flame, The end of a love affair et Stompin' at the Savoy en piano solo pour le moins inventif, After Glow, composition originale, en guitare solo, des duos guitare-piano (Stella by starlight) ou guitare-ténor (All the things you are) et, sommet de l'album, des trios à l'interactivité constante: d'une part, Mr Heine's Blues (dédié à Heinrich Heine, auteur de lyrics avec qui Zoller a collaboré) et aussi Away from the crowd de Zoller, de l'autre,  H.-J. meets M.A.H. de Koller.

Un jazz plus abstrait qui illustre l'ancrage de Solal dans la contemporanéité. et démontre toute sa technique. Rien d'étonnant à cela puisque, dans le texte de pochette, Joachim E. Berend, l'auteur du livre Le jazz des origines à nos jours, révèle que Solal lui a assuré qu'il pratiquait l'instrument six heures par jour.






Hampton Hawes - Martial Solal: Key for two

Affinity, janvier 1968


Enregistré à Paris, un autre témoignage de l'impact de Solal auprès des Américains: une rencontre avec un des maîtres de la technique pianistique: Hampton Hawes. Né en 1928, Hawes est présenté comme le maître du bop, très influencé par Art Tatum et Charlie Parker. Les deux pianistes appartiennent à la même génération et vouent un grand culte à la maîtrise technique, avec un côté plus blues chez l'Américain, un côté plus ancré dans le classique chez le Français.

Au répertoire, des classiques comme Bag's Groove de Milt Jackson ou The Theme de Miles Davis, puis des standards comme Fly me to the moon, Lover come back to me ou Stella by starlight et, enfin, deux compositions originales: Key for two de Hawes et Theme for two de Solal.

L'interactivité entre les deux pianistes est constante, galvanisée par la rythmique qui rassemble Pierre Michelot et Kenny Clarke. Dans ses notes, Alan Morgan proclame à propos de Solal: "his fire and technique and imagination are so heavy he is considered as the Art Tatum of France".






Martial Solal, Piano Jazz

MFP 5064, 1970


Petit retour vers la formation mythique: Guy Pedersen à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie.

Un classique revisité (Jordu) et une série d'originaux: Special Club, Dermaplastic, Aigue-Marine, et certains au titre en clin d'oeil (Averty, c'est moi, Gavotte à Gaveau, Nos Smokings).

La formule en trio avec Pedersen et Humair, qui a traversé les temps, est sans doute l'une des meilleures pour apprécier l'écriture originale et subtile de Solal.






Solal - Ørsted-Pedersen - Humair
Suite for Trio

MPS 15 497, 1978


Solal reste fidèle à Daniel Humair, son double, côté technique et invention, mais accueille la coqueluche de la contrebasse Niels Henning Ørsted-Pedersen, le partenaire d'Oscar Peterson. Cette Suite for Trio est le troisième album de Solal pour le label MPS, après le solo Nothing but piano et le duo Movability avec NHØP.

Comme à l'habitude, une face est dédiée à des compositions originales (Coming yesterday, No Delay et Suite for Trio à l'architecture élaborée) et l'autre à des classiques, dans une relecture originale: 'S Wonderful de Gershwin, Cherokee cher à Parker et Here's that rainy day souvent repris par Bill Evans. Une autre alchimie avec une contrebasse très mélodique. Karl Lippegaus, qui signe les notes de pochette, conclut: "There are other pianists who have a fast technique but none of them can match him".



Martial Solal - Gent Jazz, le 18 juillet 2013


Dans la foulée de ces LP, d'autres rencontres allaient se concrétiser. Des musiciens américains comme Lee Konitz, Jimmy Raney, Johnny Griffin, John Scofield, Dave Liebman ou Dave Douglas. Des Européens comme Joachim Kühn, Stéphane Grappelli, Michel Portal, Didier Lockwood ou Toots Thielemans.

Une discographie impressionnante.

Texte © Claude Loxhay  -  photos © Geert Vandepoele
Une collaboration Citizenjazz / Jazzaround / Jazz’halo







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